son secours elle poussa des cris qui m’attirerent ; elle m’avoua tout, implora mon assistance & parvint avec beaucoup de peine à lui faire vomir l’opium. Témoin de cette scene j’admirai ma bêtise de n’avoir jamais eu le moindre soupçon des liaisons qu’elle m’apprenoit. Mais Claude Anet étoit si discret que de plus clairvoyans auroient pu s’y méprendre. Le raccommodement fut tel que j’en fus vivement touché moi-même & depuis ce tems, ajoutant pour lui le respect à l’estime, je devins en quelque façon son éleve & ne m’en trouvai pas plus mal.
Je n’appris pourtant pas sans peine que quelqu’un pouvoit vivre avec elle dans une plus grande intimité que moi. Je n’avois pas songé même à désirer pour moi cette place ; mais il m’étoit dur de la voir remplir par un autre ; cela étoit fort naturel. Cependant au lieu de prendre en aversion celui qui me l’avoit soufflée, je sentis réellement s’étendre à lui l’attachement que j’avois pour elle. Je désirois sur toute chose qu’elle fût heureuse, & puisqu’elle avoit besoin de lui pour l’être, j’étois content qu’il fût heureux aussi. De son côté il entroit parfaitement dans les vues de sa maîtresse & prit en sincere amitié l’ami qu’elle s’étoit choisi. Sans affecter avec moi l’autorité que son poste le mettoit en droit de prendre, il prit naturellement celle que son jugement lui donnoit sur le mien. Je n’osois rien faire qu’il parût désapprouver & il ne désapprouvoit que ce qui étoit mal. Nous vivions ainsi dans une union qui nous rendoit tous heureux & que la mort seule a pu détruire. Une des preuves de l’excellence du caractere de cette aimable femme est que tous ceux qui l’aimoient