Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t10.djvu/288

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passable & ils ne douterent pas que je ne me fusse fait honneur du travail d’autrui. Pour vérifier la chose, un matin M. de Nangis vint me trouver avec une cantate de Clerambault qu’il avoit transposée, disoit-il, pour la commodité de la voix & à laquelle il falloit faire une autre basse, la transposition rendant celle de Clerambault impraticable sur l’instrument ; je répondis que c’étoit un travail considérable & qui ne pouvoit être fait sur-le-champ. Il crut que je cherchois une défaite & me pressa de lui faire au moins la basse d’un récitatif. Je la fis donc, mal sans doute, parce qu’en toute chose il me faut pour bien faire, mes aises & ma liberté ; mais je la fis du moins dans les regles, & comme il étoit présent, il ne put douter que je ne susse les élémens de la composition. Ainsi je ne perdis pas mes écolieres, mais je me refroidis un peu sur la musique, voyant que l’on faisoit un concert & que l’on s’y passoit de moi.

Ce fut à-peu-près dans ce tems-là que, la paix étant faite, l’armée Françoise repassa les monts. Plusieurs Officiers vinrent voir Maman ; entr’autres M. le Comte de Lautrec colonel du régiment d’Orléans, depuis Plénipotentiaire à Geneve & enfin Maréchal de France, auquel elle me présenta. Sur ce qu’elle lui dit, il parut s’intéresser beaucoup à moi & me promit beaucoup de choses dont il ne s’est souvenu que la derniere année de sa vie, lorsque je n’avois plus besoin de lui. Le jeune M. de Sennecterre, dont le pere étoit alors Ambassadeur à Turin, passa dans le même tems à Chambéri. Il dîna chez Madame de Menthon ; j’y dînois aussi ce jour-là. Après le dîner il fut question de musique ;