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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t10.djvu/332

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bonnet & un pet-en-l’air ouetté de Maman qu’elle m’avoit obligé de mettre, offroient à leurs yeux l’image d’un vrai sorcier, & comme il étoit près de minuit ils ne douterent point que ce ne fût le commencement du sabbat. Peu curieux d’en voir davantage ils se sauverent très-alarmés, éveillerent leurs voisins pour leur conter leur vision, & l’histoire courut si bien que dès le lendemain chacun sut dans le voisinage que le sabat se tenoit chez M. Noiret. Je ne sais ce qu’eût produit enfin cette rumeur, si l’un des paysans témoin de mes conjurations n’en eût le même jour porté sa plainte à deux Jésuites qui venoient nous voir & qui sans savoir de quoi il s’agissoit les désabuserent par provision. Ils nous conterent l’histoire, je leur en dis la cause & nous rîmes beaucoup. Cependant il fut résolu, crainte de récidive que j’observerois désormais sans lumiere & que j’irois consulter le planisphere dans la maison. Ceux qui ont lu dans les Lettres de la montagne ma magie de Venise trouveront, je m’assure, que j’avois de longue main une grande vocation pour être sorcier.

Tel étoit mon train de vie aux Charmettes quand je n’étois occupé d’aucuns soins champêtres ; car ils avoient toujours la préférence & dans ce qui n’excédoit pas mes forces, je travaillois comme un paysan ; mais il est vrai que mon extrême foiblesse ne me laissoit gueres alors sur cet article que le mérite de la bonne volonté. D’ailleurs, je voulois faire à la fois deux ouvrages & par cette raison je n’en faisois bien aucun. Je m’étois mis dans la tête de me donner par force de la mémoire ; je m’obstinois à vouloir beaucoup apprendre par cœur. Pour cela je portois toujours avec moi quelque livre qu’avec