Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t10.djvu/331

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& je m’affectionnai par préférence à l’exacte mesure des tans & à la marche des corps célestes. J’aurois même pris du goût pour l’astronomie si j’avois eu des instrumens ; mais il fallut me contenter de quelques élémens pris dans les livres & de quelques observations grossieres faites avec une lunette d’approche, seulement pour connoître la situation générale du Ciel : car ma vue courte ne me permet pas de distinguer à yeux nuds assez nettement les astres. Je me rappelle à ce sujet une aventure dont le souvenir m’a souvent fait rire. J’avois acheté un planisphere céleste pour étudier les constellations. J’avois attaché ce planisphere sur un châssis, les nuits où le Ciel étoit serein, j’allois dans le jardin poser mon châssis sur quatre piquets de ma hauteur, le planisphere tourné endessous, & pour l’éclairer sans que le vent soufflât ma chandelle, je la mis dans un seau à terre entre les quatre piquets : puis regardant alternativement le planisphere avec mes yeux & les astres avec ma lunette, je m’exerçois à connoître les étoiles & à discerner les constellations. Je crois avoir dit que le jardin de M. Noiret étoit en terrasse ; on voyoit du chemin tout ce qui s’y faisoit. Un soir des paysans passant assez tard, me virent dans un grotesque équipage, occupé à mon opération. La lueur qui donnoit sur mon planisphere & dont ils ne voyoient pas la cause parce que la lumiere étoit cachée à leurs yeux par les bords du seau, ces quatre piquets, ce grand papier barbouillé de figures, ce cadre & le jeu de ma lunette qu’ils voyoient aller & venir, donnoient à cet objet un air de grimoire qui les effraya. Ma parure n’étoit pas propre à les rassurer : un chapeau clabaud par-dessus mon