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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t10.djvu/40

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pour barbouiller du papier, dessiner, laver, enluminer, faire un dégât de couleurs. Il vint à Genève un charlatan Italien, appellé Gamba-corta ; nous allâmes le voir une fois, & puis nous n’y voulûmes plus aller : mais il avoit des marionnettes & nous nous mîmes à faire des marionnettes ; ses marionnettes jouoient des manieres de comédies & nous fîmes des comédies pour les nôtres. Faute de pratiques nous contrefaisions du gosier la voix de polichinelle, pour jouer ces charmantes comédies que nos pauvres bons parens avoient la patience de voir & d’entendre. Mais mon oncle Bernard ayant un jour lu dans la famille un très beau sermon de sa façon, nous quittâmes les comédies & nous nous mîmes à composer des sermons. Ces détails ne sont pas fort intéressans, je l’avoue ; mais ils montrent à quel point il falloit que notre premiere éducation eût été bien dirigée pour que, maîtres presque de notre tems & de nous dans un âge si tendre, nous fussions si peu tentés d’en abuser. Nous avions si peu besoin de nous faire des camarades, que nous en négligions même l’occasion. Quand nous allions nous promener nous regardions en passant leurs jeux sans convoitise, sans songer même à y prendre part. L’amitié remplissoit si bien nos cœurs, qu’il nous suffisoit d’être ensemble, pour que les plus simples goûts fissent nos délices.

À force de nous voir inséparables on y prit garde ; d’autant plus que mon cousin étant très-grand & moi très-petit, cela faisoit un couple assez plaisamment assorti. Sa longue figure effilée, son petit visage de pomme cuite, son air mou, sa démarche nonchalante, excitoient les enfans à se moquer de lui. Dans