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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t10.djvu/499

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poser ni direction, ni intention, ni cause morale, qu’il falloit m’y soumettre sans raisonner & sans regimber, parce que cela étoit inutile, que tout ce que j’avois à faire encore sur la terre étant de m’y regarder comme un être purement passif, je ne devois point user à résister inutilement à ma destinée la force qui me restoit pour la supporter. Voilà ce que je me disais. Ma raison, mon cœur y acquiesçoient & néanmoins je sentois ce cœur murmurer encore. D’où venoit ce murmure ? Je le cherchai, je le trouvai ; il venoit de l’amour-propre qui après s’être indigné contre les hommes se soulevoit encore contre la raison.

Cette découverte n’étoit pas si facile à faire qu’on pourroit croire, car un innocent persécuté prend long-tems pour un pur amour de la justice l’orgueil de son petit individu. Mais aussi la véritable source, une fois bien connue, est facile à tarir ou du moins à détourner. L’estime de soi-même est le plus grand mobile des ames fières, l’amour-propre, fertile en illusions, se déguise & se fait prendre pour cette estime, mais quand la fraude enfin se découvre & que l’amour-propre ne peut plus se cacher, dès lors il n’est plus à craindre & quoiqu’on l’étouffe avec peine on le subjugue au moins aisément.

Je n’eus jamais beaucoup de pente à l’amour-propre, mais cette passion factice s’étoit exaltée en moi dans le monde & sur-tout quand je fus auteur, j’en avois peut-être encore moins qu’un autre mais j’en avois prodigieusement. Les terribles leçons que j’ai reçues l’ont bientôt renfermé dans ses premières bornes ; il commença par se révolter contre l’injustice mais il a fini par la dédaigner. En se repliant sur mon ame,