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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t10.djvu/513

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six ans qui serroit mes genoux de toute sa force en me regardant d’un air si familier & si caressant que mes entrailles s’émurent ; je me disais : C’est ainsi que j’aurois été traité des miens. Je pris l’enfant dans mes bras, je le baisai plusieurs fois dans une espèce de transport & puis je continuai mon chemin. Je sentois en marchant qu’il me manquoit quelque chose, Un fort besoin naissant me ramenoit sur mes pas. Je me reprochais d’avoir quitté si brusquement cet enfant, je croyais voir dans son action sans cause apparente une sorte d’inspiration qu’il ne falloit pas dédaigner. Enfin, cédant à la tentation, je reviens sur mes pas, je cours à l’enfant, je l’embrasse de nouveau & je lui donne de quoi acheter des petits pains de Nanterre dont le marchand passoit là par hasard, & je commençai à le faire jaser. Je lui demandai qui étoit son père ; il me le montra qui relioit des tonneaux. J’étois prêt à quitter l’enfant pour aller lui parler quand je vis que j’avois été prévenu par un homme de mauvaise mine qui me parut être une de ces mouches qu’on tient sans cesse à mes trousses. Tandis que cet homme lui parloit à l’oreille, je vis les regards du tonnelier se fixer attentivement sur moi d’un air qui n’avoit rien d’amical. Cet objet me resserra le cœur à l’instant & je quittai le père & l’enfant avec plus de promptitude encore que je n’en avois mis à revenir sur mes pas, mais dans un trouble moins agréable qui changea toutes mes dispositions. Je les ai pourtant senties renaître souvent depuis lors, je suis repassé plusieurs fois par Clignancourt dans l’espérance d’y revoir cet enfant, mais je n’ai plus revu ni lui ni le père, & il ne m’est plus resté de cette rencontre qu’un souvenir assez vif, mêlé