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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t10.djvu/519

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plus son insolence. Le bien-être, la fraternité, la concorde y disposent les cœurs à s’épanouir, & souvent dans les transports d’une innocente joie les inconnus s’accostent, s’embrassent & s’invitent à jouir de concert des plaisirs du jour. Pour jouir moi-même de ces aimables fêtes, je n’ai pas besoin d’en être, il me suffit de les voir ; en les voyant, je les partage ; & parmi tant de visages gais, je suis bien sûr qu’il n’y a pas un cœur plus gai que le mien.

Quoique ce ne soit là qu’un plaisir de sensation il a certainement une cause morale, & la preuve en est que ce même aspect, au lieu de me flatter, de me plaire, peut me déchirer de douleur & d’indignation quand je sais que ces signes de plaisir & de joie sur les visages des méchans ne sont que des marques que leur malignité est satisfaite. La joie innocente est la seule dont les signes flattent mon cœur. Ceux de la cruelle & moqueuse joie le navrent & l’affligent quoiqu’elle n’oit nul rapport à moi. Ces signes sans doute ne sauroient être exactement les mêmes, partant de principes si différents : mais enfin ce sont également des signes de joie, & leurs différences sensibles ne sont assurément pas proportionnelles à celles des mouvemens qu’ils excitent en moi.

Ceux de douleur & de peine me sont encore plus sensibles, au point qu’il m’est impossible de les soutenir sans être agité moi-même d’émotions peut-être encore plus vives que celles qu’ils représentent. L’imagination renforçant la sensation m’identifie avec l’être souffrant & me donne souvent plus d’angoisse qu’il n’en sent lui-même. Un visage mécontent est encore un spectacle qu’il m’est impossible de soutenir, sur-tout