Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t10.djvu/90

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en y pensant. Chez ma tante Bernard la dévotion m’ennuyoit un peu plus parce qu’elle en faisoit un métier. Chez mon maître je n’y pensois plus gueres, sans pourtant penser différemment. Je ne trouvai point de jeunes gens qui me pervertissent. Je devins polisson, mais non libertin.

J’avois donc de la religion tout ce qu’un enfant à l’âge où j’étois en pouvoit avoir. J’en avois même davantage, car pourquoi déguiser ici ma pensée ? Mon enfance ne fut point d’un enfant. Je sentis, je pensai toujours en homme. Ce n’est qu’en grandissant que je suis rentré dans la classe ordinaire, en naissant j’en étois sorti. L’on rira de me voir me donner modestement pour un prodige. Soit ; mais quand on aura bien ri, qu’on trouve un enfant qu’à six ans les romans attachent, intéressent, transportent au point d’en pleurer à chaudes larmes ; alors je sentirai ma vanité ridicule & je conviendrai que j’ai tort.

Ainsi quand j’ai dit qu’il ne falloit point parler aux enfans de religion si l’on vouloit qu’un jour ils en eussent & qu’ils étoient incapables de connoître Dieu, même à notre maniere, j’ai tiré mon sentiment de mes observations, non de ma propre expérience : je savois qu’elle ne concluoit rien pour les autres. Trouvez des J.J. Rousseau à six ans & parlez leur de Dieu à sept, je vous réponds que vous ne courez aucun risque.

On sent, je crois, qu’avoir de la religion pour un enfant & même pour un homme, c’est suivre celle où il est né. Quelquefois on en ôte, rarement on y ajoute ; la foi dogmatique est un fruit de l’éducation. Outre ce principe commun