Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t10.djvu/91

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qui m’attachoit au culte de mes peres, j’avois l’aversion particuliere à notre ville pour le catholicisme, qu’on nous donnoit pour une affreuse idolâtrie & dont on nous peignoit le clergé sous les plus noires couleurs. Ce sentiment alloit si loin chez moi qu’au commencement je n’entrevoyois jamais le dedans d’une Eglise, je ne rencontrois jamais un prêtre en surplis, je n’entendois jamais la sonnette d’une procession sans un frémissement de terreur & d’effroi qui me quitta bientôt dans les villes, mais qui souvent m’a repris dans les paroisses de campagne, plus semblables à celles où je l’avois d’abord éprouvé. Il est vrai que cette impression étoit singulierement contrastée par le souvenir des caresses que les curés des environs de Geneve font volontiers aux enfans de la ville. En même tems que la sonnette du viatique me faisoit peur, la cloche de la messe & de vêpres me rappeloit un déjeuner, un goûter, du beurre frais, des fruits, du laitage. Le bon diné de M. de Pontverre avoit produit encore un grand effet. Ainsi je m’étois aisément étourdi sur tout cela. N’envisageant le papisme que par ses liaisons avec les amusemens & la gourmandise, je m’étois apprivoisé sans peine avec l’idée d’y vivre ; mais celle d’y entrer solennellement ne s’étoit présentée à moi qu’en fuyant & dans un avenir éloigné. Dans ce moment il n’y eut plus moyen de prendre le change : je vis avec l’horreur la plus vive l’espece d’engagement que j’avois pris & sa suite inévitable. Les futurs néophytes que j’avois autour de moi n’étoient pas propres à soutenir mon courage par leur exemple & je ne pus me dissimuler que la sainte œuvre que j’allois faire n’étoit au fond que l’action d’un bandit. Tout