fortune faite & je trouvois beau de n’en avoir l’obligation qu’à moi seul.
La premiere chose que je fis, fut de satisfaire ma curiosité en parcourant toute la ville, quand ce n’eût été que pour faire un acte de ma liberté. J’allai voir monter la garde ; les instrumens militaires me plaisoient beaucoup. Je suivis des processions ; j’aimois le faux-bourdon des prêtres. J’allai voir le palais du Roi : j’en approchois avec crainte ; mais voyant d’autres gens entrer, je fis comme eux, on me laissa faire. Peut-être dus-je cette grace au petit paquet que j’avois sous le bras. Quoi qu’il en soit, je conçus une grande opinion de moi-même en me trouvant dans ce palais : déjà je m’en regardois presque comme un habitant. Enfin, à force d’aller & venir, je me lassai, j’avois faim, il faisoit chaud ; j’entrai chez une marchande de laitage : on me donna de la giuncà, du lait caillé, & avec deux grisses de cet excellent pain de Piémont que j’aime plus qu’aucun autre, je fis pour mes cinq ou six sols un des bons dîners que j’aye faits de mes jours.
Il fallut chercher un gîte. Comme je savois déjà assez de piémontois pour me faire entendre, il ne fut pas difficile à trouver & j’eus la prudence de le choisir, plus selon ma bourse que selon mon goût. On m’enseigna dans la rue du Pô la femme d’un soldat qui retiroit à un sou par nuit des domestiques hors de service. Je trouvai chez elle un grabat vide & je m’y établis. Elle étoit jeune & nouvellement mariée, quoiqu’elle eût déjà cinq ou six enfans. Nous couchâmes tous dans la même chambre, la mere, les enfans, les hôtes, &