Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t11.djvu/205

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le mien humain jusqu’à l’excès & trop sensible à leurs peines, s’affecte autant des maux qu’ils se sont entr’eux que de ceux qu’ils lui sont à lui-même. Le leur ne songe qu’a faire du bruit dans le monde aux dépens du repos d’autrui & du sien ; le mien préfere le repos à tout, & voudroit être ignore de toute la terre pourvu qu’on le laissât en paix dans son coin. Le leur dévore d’orgueil & du plus intolérant amour-propre, est tourmente de l’existence de ses semblables, & voudroit voir tout le genre-humain s’anéantir devant lui ; le mien s’aimant sans se comparer n’est pas plus susceptible de vanisé que de modestie, content de sentir ce qu’il est, il ne cherche point quelle est sa place parmi les hommes, & je suis sur que de sa vie il ne lui entra dans l’esprit de se mesurer avec un autre pour savoir lequel étoit le plus grand ou le plus petit. Le leur plein de ruse & d’art pour en imposer voile ses vices avec la plus grande adresse & cache sa méchanceté sous une candeur apparente ; le mien emporte violent même dans ses premiers momens plus rapides que l’éclair, passe sa vie à faire de grandes & court fautes, & à les expier par de vifs & longs repentirs : au surplus sans prudence sans présence d’esprit & d’une balourdise incroyable, il offense quand il veut plaire, & dans sa naïveté plutôt étourdie que franche dit également ce qui lui sert & qui lui nuit sans même en sentir la différence. Enfin le leur est un esprit diabolique aigu pénétrant ; le mien ne pensant qu’avec beaucoup de lenteur & d’efforts en craint la fatigue, & souvent n’entendant les choses les plus communes qu’en y rêvant à son aise & seul, peut à peine passer pour un homme d’esprit.