Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t11.djvu/33

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qu’il veut éviter, il plaint leur aveuglement encore plus qu’il ne hait leur malice ; il ne se tourmente point à leur rendre mal pour mal, outrage pour outrage, et si quelquefois il cherche à repousser les atteintes de ses ennemis, c’est sans chercher à les leur rendre, sans se passionner contre eux, sans sortir ni de sa place ni du calme ou il veut rester.

Nos habitants, suivant des vues moins profondes, arrivent presque au même but par la route contraire, et c’est leur ardeur même qui les tient dans l’inaction. L’état céleste auquel ils aspirent et qui fait leur premier besoin par la forcé avec laquelle il s’offre à leurs cœurs leur fait rassembler et tendre sans cessé toutes les puissances de leur âme pour y parvenir. Les obstacles qui les retiennent ne occuper au point de le leur faire oublier un moment ; et de là ce mortel dégoût pour tout le reste, et inaction totale quand ils désespèrent d’atteindre au seul objet de tous leurs vœux.

Cette différence ne vient pas seulement du genre des passions mais aussi de leur forcé ; car les passions fortes ne se laissent pas dévoyer comme les autres. Deux amants, l’un très épris, l’autre assez tiède, souffriront néanmoins un rival avec la même impatience, l’un a cause de son amour, l’autre a cause de son amour-propre. Mais il peut très-bien arriver que la haine du second, devenue sa passion principale survive à son amour et même s’accroisse après qu’il est éteint ; au lieu que le premier, qui ne hait qu’à cause qu’il aime, cessé de haïr son rival si-tôt qu’il ne le craint plus. Or si les âmes faibles et tièdes sont plus sujettes aux passions haineuses qui ne sont que des passions secondaires et réfléchies, et si les