Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t11.djvu/36

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ils s’arrêtent, & passent la vie à en jouir en faisant chaque jour ce qui leur paroit bon pour eux & bien pour autrui, sans égard à l’estimation des hommes & aux caprices de l’opinion.

Le François.

Je cherche inutilement dans ma tète ce qu’il peut y avoir de commun entre les êtres fantastiques que vous décrivez & le monstre dont nous parlions tout-a-l’heure.

Rousseau.

Rien sans doute, & je le crois ainsi : mais permettez que j’acheve.

Des êtres si singulièrement constitues doivent nécessairement s’exprimer autrement que les hommes ordinaires. Il est impossible qu’avec des ames si différemment modifiées, ils ne portent pas dans l’expression de leurs sentimens & de leurs idées l’empreinte de ces modifications. Si cette empreinte échappe à ceux qui n’ont aucune notion de cette maniere d’être, elle ne peut échapper à ceux qui la connoissent & qui en sont affectes eux-mêmes. C’est un signe caractéristique auquel les inities se reconnoissent entr’eux, & ce qui donne un grand prix à ce signe, si peu connu & encore moins employé, est qu’il ne peut se contrefaire, que jamais il n’agit qu’au niveau de sa source, & que quand il ne part pas du cœur de ceux qui l’imitent il n’arrive pas non plus aux cœurs faits pour le distinguer ; mais si-tôt qu’il y parvient, on ne sauroit s’y méprendre ; il est vrai des qu’il est senti. C’est dans toute la conduite de la vie plutôt que dans quelques actions éparses