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À M. DE VOLTAIRE.

auſſi grands que vous les dépeignez. Mais il est difficile de trouver ſur ce point de la bonne foi chez les hommes & de bons calculs chez les Philoſophes, parce que ceux-ci, dans la comparaiſon des biens & des maux, oublient toujours le doux ſentiment de l’exiſtence indépendant de toute autre ſenſation, & que la vanité de mépriſer la mort engage les autres à calomnier la vie, à-peu-près comme ces femmes qui avec une robe tachée & des ciſeaux, prétendent aimer mieux des trous que des taches.

Vous pensez avec Éraſme, que peu de gens voudroient renaître aux mêmes conditions qu’ils ont vécu ; mais tel tient ſa marchandiſe sort haute, qui en rabattroit beaucoup s’il avoit quelque eſpoir de conclure le marché. D’ailleurs, qui dois-je croire que vous avez conſulté ſur cela ? des riches, peut-être ; raſſaſiés de faux plaiſirs, mais ignorant les véritables ; toujours ennuyés de la vie & toujours tremblans de la perdre. Peut-être des gens de Lettres, de tous les ordres d’hommes le plus ſédentaire, le plus mal ſain, le plus réfléchiſſant, & par conſéquent le plus malheureux. Voulez-vous trouver des hommes de meilleure compoſition, ou du moins, communément plus ſinceres, & qui formant le plus grand nombre doivent au moins pour cela, être écoutés par préférence ? Conſultez un honnête bourgeois qui aura paſſé une vie obſcure & tranquille, ſans projets & ſans ambition ; un bon artiſan qui vit commodément de ſon métier ; un payſan même, non de France, où l’on prétend qu’il faut les faire mourir de miſere afin qu’ils nous faſſent vivre, mais du pays, par exemple, où vous êtes, & généralement de tout pays libre. J’oſe poſer en fait qu’il n’y a peut-être pas dans le haut Valais un ſeul montagnard mécon-