Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t12.djvu/172

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Video meliora proboque, deteriora sequor.

Voilà ce que sera votre Despote, ambitieux, prodigue, avare, amoureux, vindicatif, jaloux, foible : car c’est ainsi qu’ils sont tous, & que nous faisons tous. Messieurs, permettez-moi de vous le dire ; vous donnez trop de force à vos calculs, & pas assez aux penchans du cœur humain, & au jeu des passions. Votre systême est très-bon pour les gens de l’Utopie, il ne vaut rien pour les enfans d’Adam.

Voici, dans mes vieilles idées, le grand problême en Politique, que je compare à celui de la quadrature du cercle en Géométrie, & à celui des longitudes en Astronomie. Trouver une forme de Gouvernement qui mette la loi au-dessus de l’homme.

Si cette forme est trouvable, cherchons la & tâchons de l’établir. Vous prétendez, Messieurs, trouver cette loi dominante dans l’évidence des autres. Vous prouvez trop : car cette évidence a dû être dans tous les Gouvernemens, ou ne sera jamais dans aucun.

Si malheureusement cette forme n’est pas trouvable, & j’avoue ingénument que je crois qu’elle ne l’est pas, mon avis est qu’il faut passer à l’autre extrémité & mettre tout-d’un-coup l’homme autant au-dessus de la loi qu’il peut l’être, par conséquent établir le despotisme arbitraire & le plus arbitraire qu’il est possible : je voudrois que le Despote pût être Dieu. En un mot, je ne vois point de milieu supportable entre la plus austere Démocratie & le Hobbisme le plus parfait : car le conflit des hommes & des loix qui met dans l’État une guerre intestine continuelle, est le pire de tous les états politiques.