Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t12.djvu/217

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Je n’ai point eu occasion d’exécuter votre commission auprès de M. d’Alembert, Comme nous ne nous sommes jamais beaucoup vus, nous ne nous écrivons point ; &, confiné dans ma solitude, je n’ai conservé nulle espece de relation avec Paris ; j’en suis comme à l’autre bout de la terre, & ne sais pas plus ce qui s’y passe qu’à Pekin. Au reste, si l’article dont vous me parlez est indiscret & répréhensible, il n’est assurément pas offensant. Cependant, s’il peut nuire à votre Corps, peut-être sera-t-on bien d’y répondre, quoi qu’à vous dire le vrai, j’aye un peu d’aversion pour les détails où cela peut entraîner, & qu’en général je n’aime gueres, qu’en matiere de foi l’on assujettisse la conscience à des formules. J’ai de la religion, mon ami, & bien m’en prend ; je ne crois pas qu’homme au monde en ait autant besoin que moi. J’ai passé ma vie parmi les incrédules, sans me laisser ébranler ; les aimant, les estimant beaucoup, sans pouvoir souffrir leur doctrine. Je leur ai toujours dit que je ne les savois pas combattre, mais que je ne voulois pas les croire ; la philosophie n’ayant sur ces matieres ni fond ni rive, manquant d’idées primitives & de principes élémentaires, n’est qu’une mer d’incertitudes & de doutes, dont le Métaphysicien ne se tire jamais. J’ai donc laissé là la raison, & j’ai consulté la nature, c’est-à-dire, le sentiment intérieur qui dirige ma croyance, indépendamment de ma raison. Je leur ai laissé arranger leurs chances, leurs sorts, leur mouvement nécessaire ; &, tandis qu’ils bâtissoient le monde à coups de dez, j’y voyois, moi, cette unité d’intention qui me faisoit voir, en dépit d’eux, un principe unique ; tout comme s’ils m’avoient