Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t12.djvu/39

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forces de toute espece, l’épuisement où la plus heureuse guerre jette un Etat quelconque ; & comparons ce préjudice aux avantages qu’il en retire, nous trouverons qu’il perd souvent quand il croit gagner, & que le vainqueur, toujours plus foible qu’avant la guerre, n’a de consolation que de voir le vaincu plus affoibli que lui ; encore cet avantage est-il moins réel

qu’apparent, parce que la supériorité qu’on peut avoir acquise sur son adversaire, on l’a perdue en même tems contre les Puissances neutres, qui sans changer d’état se fortifient, par rapport à nous, de tout notre affoiblissement.

Si tous les Rois ne sont pas revenus encore de la folie des conquêtes, il semble au moins que les plus sages commencent à entrevoir qu’elles coûtent quelquefois plus qu’elles ne valent. Sans entrer à cet égard dans mille distinctions qui noue mèneroient trop loin, on peut dire en général qu’un Prince, qui, pour reculer ses frontieres, perd autant de ses anciens sujets qu’il en acquiert de nouveaux, s’affoiblit en s’agrandissant ; parce qu’avec un plus grand espace à défendre, il n’a pas plus de défenseurs. Or, on ne peut ignorer que par la manière dont la guerre se fait aujourd’hui, la moindre dépopulation qu’elle produit est celle qui se fait dans les armées : c’est bien-là la perte apparente & sensible ; mais il s’en fait en même tems dans tout l’Etat une plus grave & plus irréparable que celle des hommes qui meurent, par ceux qui ne naissent pas, par l’augmentation des impôts, par l’interruption du commerce, par la désertion des campagnes, par l’abandon de l’agriculture ; ce mal qu’on n’apperçoit point d’abord, se fait sentir cruellement dans la suite : & c’est alors