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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t12.djvu/51

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trouveroit par l’expérience son profit particulier dans le bien commun. Cependant ces mêmes princes, qui la défendroient de toutes leurs forces si elle existoit, s’opposeroient maintenant de même à son exécution & l’empêcheront infailliblement de s’établir comme ils l’empêcheroient de s’éteindre. Ainsi l’ouvrage de l’Abbé de St.Pierre sur la paix perpétuelle paroît d’abord inutile pour la produire & superflu pour la conserver ; c’est donc une vaine spéculation, dira quelque lecteur impatient ; non, c’est un livre solide & sensé, & il est très important qu’il existe.

Commençons par examiner les difficultés de ceux qui ne jugent pas des raisons par la raison, mais seulement par l’événement, & qui n’ont rien à objecter contre ce Projet, sinon qu’il da pas été exécuté. En effet, diront-ils sans doute, si ses avantages sont si réels, pourquoi donc les Souverains de l’Europe ne l’ont-ils pas adopté ? Pourquoi négligent-ils leur propre intérêt, si cet intérêt leur est si bien démontré ? Voit-on qu’ils rejettent

d’ailleurs les moyens d’augmenter leurs revenus & leur puissance ? Si celui-ci étoit aussi bon pour cela qu’on le prétend, est-il croyable qu’ils en fument moins empressés que de tous ceux qui les égarent depuis si long-tems, & qu’ils préférassent mille ressources trompeuses à un profit évident ?

Sans doute, cela est croyable ; à moins qu’on ne suppose que leur sagesse est égale à leur ambition, & qu’ils voient d’autant mieux leurs avantages qu’ils les désirent plus fortement ; au lieu que c’est la grande punition des excès de l’amour-propre de recourir toujours à des moyens qui l’abusent, & que l’ardeur même des passions est presque toujours ce qui les