Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t12.djvu/540

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plains. On n’ôte point à un homme d’honneur, sans le connoître & sans l’entendre, l’estime publique dont il jouit. Si jamais je vis en Angleterre aussi long-tems que j’ai vécu en France, il faudra bien qu’enfin votre public me rende son estime, mais quel gré lui en saurai-je, lorsque je l’y aurai forcé ?

Pardonnez, Mylord, cette longue lettre ; me pardonneriez-vous mieux d’être indifférent à ma réputation dans votre pays ? Les Anglois valent bien qu’on soit fâché de les voir injustes, qu’afin qu’ils cessent de l’être, on leur faire sentir combien ils le sont. Mylord, les malheureux sont malheureux par-tout. En France on les décrete ; en Suisse on les lapide ; en Angleterre on les déshonore : c’est leur vendre cher l’hospitalité.

LETTRE À MDE. DE LUZE.

Wootton le 10 Mai 1766.

Suis -je assez heureux, Madame, pour que vous pensiez quelquefois à mes torts, & pour que vous me sachiez mauvais gré d’un si long silence ? J’en serois trop puni si vous n’y étiez pas sensible. Dans le tumulte d’une vie orageuse, combien j’ai regretté les douces heures que je passois près de vous ! Combien de fois les premiers momens du repos après lequel je soupirois ont été consacrés d’avance au plaisir de vous écrire ! J’ai maintenant celui de remplir cet engagement, & les agrémens du lieu que j’habite m’invitent à m’y occuper de vous, Madame, & de M. de Luze, qui m’en a fait trouver beaucoup