Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t12.djvu/58

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de loin la décadence de la maison d’Autriche & le rétablissement de la liberté commune. Cependant nul n’osoit le premier hasarder de secouer le joug, & s’exposer seul à la guerre ; l’exemple de Henri IV même, qui s’en étoit tiré si mal, ôtoit le courage à tous les autres. D’ailleurs, si l’on excepte le Duc de Savoye, trop foible & trop subjugué pour rien entreprendre, il n’y avoit pu parmi tant de Souverains un seul homme de tête en état de former & soutenir une entreprise ; chacun attendoit du tems & des circonstances le moment de briser ses fers. Voilà quel étoit en gros l’état des choses quand Henri forma le plan de la République chrétienne & se prépara à l’exécuter. Projet bien grand, bien admirable en lui-même, & dont je ne veux pas ternir l’honneur ; mais qui, ayant pour raison secrète l’espoir d’abaisser un ennemi redoutable, recevoit de ce pressant motif une activité qu’il eût difficilement tirée de la seule utilité commune.

Voyons maintenant quels moyens ce grand homme avoit employée à préparer une si haute entreprise. Je compterois volontiers pour le premier d’en avoir bien vu toutes les difficultés ; de telle sorte qu’ayant formé ce projet dès son enfance il le médita toute sa vie, & réserva l’exécution pour sa vieillesse : conduite qui prouve premièrement ce désir ardent & soutenu qui seul, dans les choses difficiles, peut vaincre les grands obstacles, & de plus, cette sagesse patiente & réfléchie qui s’applanit les routes de longue main à force de prévoyance & de préparation : car il y a bien de la différence entre les entreprises nécessaires dans lesquelles la prudence même veut qu’on donne quelque chose au hasard, & celles que le succès