Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t12.djvu/666

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de n’avoir abreuvé que moi des amertumes de ma vie ; & d’en avoir garanti mes enfans. J’aime mieux qu’ils vivent dans un état obscur sans me connoître, que de les voir, dans mes malheurs, bassement nourris par la traitresse générosité de mes ennemis, ardens à les instruire à haïr, & peut-être à trahir leur pere ; & j’aime mieux cent fois être ce pere infortuné, qui négligea son devoir par foiblesse, & qui pleure sa faute, que d’être l’ami perfide qui trahit la confiance de son ami, & divulgue pour le diffamer le secret qu’il a versé dans son sein.

Jeune femme voulez-vous travailler à vous rendre heureuse, commencez d’abord par nourrir votre enfant. Ne mettez pas votre fille dans un couvent, élevez-la vous-même ; votre mari est jeune, il est d’un bon naturel, voilà ce qu’il nous faut. Vous ne me dites point comment il vit avec vous ; n’importe, fût-il livré à tous les goûts de son âge & de son tems, vous l’en arracherez par les, vôtres, sans lui rien dire. Vos enfans vous aideront à le retenir par des liens aussi forts & plus constans lue ceux de l’amour. Vous passerez la vie la plus simple, il est vrai, mais aussi la plus douce & la plus heureuse dont j’aye idée. Mais encore une fois, si celle d’un ménage bourgeois vous dégoûte ; & si l’opinion vous subjugue, guérissez-vous le la soif du bonheur qui vous tourmente, car vous ne l’étancherez jamais.

Voilà mes idées ; si elles sont fausses ou ridicules pardonnez l’erreur à l’intention. Je me trompe peut-être, mais il est sûr que je ne veux pas vous tromper. Bonjour, Madame, l’intérêt que vous prenez à moi me touche, & je vous jure que je vous le rends bien.