Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t12.djvu/90

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donner au Gouvernement la forme imaginée par l’Abbé de St. Pierre ; & nul n’ignore combien est dangereux dans un grand Etat le moment d’anarchie & de crise qui précéde nécessairement un établissement nouveau. La seule introduction du scrutin devoit faire un renversement épouvantable, & donner plutôt un mouvement convulsif & continuel à chaque partie qu’une nouvelle vigueur au corps. Qu’on juge du danger d’émouvoir une fois les masses énormes qui composent la Monarchie Françoise ! qui pourra retenir l’ébranlement donné, ou prévoir tous les effets qu’il peut produire ? Quand tous les avantages du nouveau plan seroient incontestables, quel homme de sens oseroit entreprendre d’abolir les vieilles coutumes, de changer les vieilles maximes & de donner une autre forme à l’Etat que celle où l’a successivement amené une durée de treize cents ans ? Que le Gouvernement actuel soit encore celui d’autrefois, ou que durant tant de siècles il ait changé de nature insensiblement, il est également imprudent d’y toucher. Si c’est le même, il le faut respecter ; s’il a dégénéré, c’est par la force du tems & des choses, & la sagesse humaine n’y peut rien. Il ne suffit pas de considérer les moyens qu’on veut employer, si l’on ne regarde encore les hommes dont on se veut servir : or, quand toute une nation ne sait plus s’occuper que de niaiseries, quelle attention peut-elle donner au grandes choses, & dans un pays où la musique est devenue une affaire d’Etat, que seront les affaires d’Etat sinon des chansons ? Quand on voit tout Paris en fermentation pour une place de baladin ou de bel-esprit & les affaires de l’Académie ou de l’Opéra faire oublier l’intérêt du Prince & la gloire de la Nation ; que