Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t13.djvu/334

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Alceste & la crainte de choquer Oronte. Mais je m’apperçois ; Monsieur, que je donne des leçons à Moliere.

Vous prétendez que dans cette scene du sonnet, le Misanthrope est presque un Philinte, & ses je ne dis pas cela répétés avant que de déclarer franchement son avis, vous paroissent hors de son caractere. Permettez-moi de n’être pas de votre sentiment. Le Misanthrope de Moliere n’est pas un homme grossier, mais un home vrai ; ses je ne dis pas cela, sur-tout de l’air dont il les doit prononcer, sont suffisamment entendre qu’il trouvé le sonnet détestable ; ce n’est que quand Oronte le presse & le pousse à bout, qu’il doit lever le masque & lui rompre en visiere. Rien n’est, ce me semble, mieux ménagé & gradué plus adroitement que cette scene ; & je dois rendre cette justice à nos spectateurs modernes, qu’il en est peu qu’ils écoutent avec plus de plaisir. Aussi je ne crois pas que ce chef-d’œuvre de Moliere (supérieur peut-être de quelques années à son siecle) dût craindre aujourd’hui le sort équivoque qu’il eût à sa naissance ; notre parterre, plus fin & plus éclairé qu’il ne l’étoit il y a soixante ans, n’auroit plus besoin du Médecin malgré lui pour aller au Misanthrope. Mais je crois en même tems avec vous, que d’autres chefs-d’œuvre du même poete & de quelques autres, autrefois justement applaudis, auroient aujourd’hui plus d’estime que de succès, notre changement de goût en est la cause ; nous voulons dans la tragédie plus d’action, & dans la comédie plus de finesse. La raison en est, si je ne me trompé, que les sujets communs sont presqu’entiérement épuisés sur les deux théâtres ; & qu’il faut d’un côté plus de mouvement pour