Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t13.djvu/586

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LETTRE IV.

MON CHER PERE,

Malgré les tristes assurances que vous m’avez données que vous ne me regardiez plus pour votre fils, j’ose encore recourir à vous, comme au meilleur de tous les peres, & quels que soient les justes sujets de haine que vous devez avoir contre moi, le titre de fils malheureux & repentant les efface dans votre cœur, & la douleur vive & sincere que je ressens d’avoir si mal use de votre tendresse paternelle, me remet dans les droits que le sang me donne auprès de vous ; vous &êtes toujours mon cher pere & quand je ne ressentirois que le seul poids de mes fautes, je suis assez puni dès que je suis criminel. Mais hélas ! il est bien encore d’autres motifs qui seroient changer votre colere en une compassion légitime, si vous en étiez pleinement instruit. Les infortunes qui m’accablent depuis long-tems n’expient que trop les fautes dont je me sens coupable, & s’il est vrai qu’elles sont énormes, la pénitence les surpasse encore. Triste sort que celui d’avoir le cœur plein d’amertume & de n’oser même exhaler sa douleur par quelques soupirs ! Triste sort d’être abandonné d’un pere dont on auroit pu faire les délices & la consolation ! mais plus triste sort de se voir forcé d’être à jamais ingrat & malheureux en même tems, & d’être obligé de traîner par toute la terre sa misere & ses remords ! Vos yeux se chargeroient de larmes, si vous connoissiez à fond ma véritable situation, l’indignation seroit