Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t13.djvu/587

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bientôt place a la pitié, & vous ne pourriez vous empêcher de ressentir quelque peine des malheurs dont je me vois accablé. Je n’aurois osé me donner la liberté de vous écrire si je n’y avois été force par une nécessité indispensable. J’ai long-tems balancé dans la crainte de vous offenser encore davantage ; mais enfin j’ai cru que dans la triste situation où je me trouve, j’aurois été doublement coupable si je n’avois fait tous mes efforts pour obtenir de vous des secours qui me sont absolument nécessaires. Quoique j’aye à craindre un refus, je ne m’en flatte pas moins de quelque espérance ; je n’ai point oublié que vous êtes bon pere, & je sais que vous êtes assez généreux pour faire du bien aux malheureux indépendamment des loix du sang & de la nature, qui ne s’effacent jamais dans les grandes ames. Enfin, mon cher pere, il faut vous l’avouer, je suis à Neufchâtel dans une misere à laquelle mon imprudence a donné lieu. Comme je n’avois d’autre talent que la musique, qui put me tirer d’affaire, je crus que je serois bien de le mettre en usage si je le pouvois ; & voyant bien que je n’en savois pas encore assez pour l’exercer dans des pays catholiques, je m’arrêtai à Lausanne où j’ai enseigné pendant quelques mois ; d’où étant venu à Neufchâtel je me vis dans peu de tems par des gains assez considérables joints à une conduite fort réglée, en état d’acquitter quelques dettes que j’avois à Lausanne ; mais étant sorti d’ici inconsidérément, après une longue suite d’aventures que je me réserve l’honneur de vous détailler de bouche, si vous voulez bien permettre, je suis revenu ; mais le chagrin que je puis dire sans vanité que mes écolieres conçurent de mon départ a bien