Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t14.djvu/477

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Que devîntes-vous ! ô chere & tendre reconnoissance ! vous qui jusqu’alors aviez navré de joie & de plaisir le cœur de l’obligé. Vous vous enfuîtes presque aussi rapidement que le cerf à la vue du chasseur. La vivacité de l’Etranger subitement métamorphosée en une colere que l’honneur de concert avec l’amour-propre inspire, l’emporta sur les déférences que vous exigez. Il fit sentir à cet Irlandois trop opulent, qu’il savoit distinguer le bienfaiteur d’avec le tyran impérieux, & prêt à commettre la plus blâmable incivilité ; il fut enfin forcé, en quittant pour toujours cette maison, de s’écrier que c’étoit faire payer trop cher des bienfaits, que d’en accorder à ce prix-là.

Tout occupé de la scene qui venoit de se passer, il écrivit le même jour une lettre à cet Irlandois où il lui faisoit un tableau général de tous les devoirs que la reconnoissance exige de l’honnête homme, qu’il s’étoit appliqué à les remplir. Mais il ajoutoit que dès que l’honneur se voyoit égratigné, fût-ce même par celui qui auroit fait notre fortune, qu’alors tout sentiment de reconnoissance faisoit place, non pas à la vengeance, mais à la plus froide indifférence.

La preuve que Ried n’avoit pas été bienfaiteur par noblesse d’ame & par des sentimens épurés, c’est qu’il fit tout ce que M. Hume a fait à l’endroit de J. J. Rousseau. Autant il avoir prôné les bonnes qualités de l’Etranger, autant il s’efforçoit l’avilir & à le décrier. Il lui prodiguoit les titres d’ingrat de méchant, & s’empressoit à indisposer contre lui tous ceux qui lui avoient témoigné quelque bienveillance. Plusieurs d’entr’eux, séduits par la prévention, firent chorus, & sans