Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t14.djvu/582

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savon, ou fait des ronds en crachant dans un puits, se regarde comme un Etre très-important. Au reste, Docteur, si on ne vous a pas élevé des statues on vous a gravé ; tout le monde peut contempler votre visage & votre gloire au coin des rues. Il me semble que c’en est bien assez pour un homme qui ne veut pas être philosophe, & qui en effet ne l’est pas. Quàm pulchrum est digito monstrari, & dicier, hic est ! Pourquoi mon ami Jean-Jaques vante-t-il à tout propos sa vertu, son mérite & ses talens ? C’est que l’orgueil de l’homme peut devenir aussi fort que la bosse des chameaux de l’Idumée, ou que la peau des Onagres du désert. Jésus disoit qu’il étoit doux & humble de cœur : Jean-Jaques, qui prétend être son écolier, mais un écolier mutin qui chicane souvent avec son maître, n’est ni doux ni humble de cœur. Mais ce ne sont pas-là mes affaires. Il pourroit cependant apprendre que le vrai mérite ne consiste pas à être singulier, mais à être raisonnable. L’allemand Corneille Agrippa a abboyé long-tans avant lui contre les sciences & les savans ; malgré cela il n’étoit point du tout un grand homme.

Docteur Pansophe, on m’a dit que vous vouliez aller en Angleterre. C’est le pays des belles femmes & des bons philosophes. Ces belles femmes & ces bons philosophes seront peut-être curieux de vous voir, & vous vous serez voir. Les gazetiers tiendront un registre exact de tous vos faits & gestes, & parleront du grand Jean-Jaques comme de l’éléphant du Roi & du zébre de la Reine ; car les Anglois s’amusent des productions rares de toutes especes, quoiqu’il soit rare qu’ils estiment. On vous montrera au doigt à la comédie, si vous y