Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t14.djvu/585

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saint Roi juif dansa autrefois devant l’arche. Voilà les honnêtes gens. Le vin & l’ignorance sont le sommaire de toute la sagesse. Les hommes sobres sont sous : les ivrognes sont francs & vertueux. Mais je crains ce qui peut arrive ; c’est-à-dire, que la science, cette mere de tous les crimes & de tous les vices, ne se glisse parmi vous. L’ennemi rôde autour de vous ; il a la subtilité du serpent & la force du lion ; il vous menace. Peut-être, hélas ! bientôt le luxe, les arts, la philosophie, la bonne chere, les auteurs, les perruquiers, les prêtres & les marchandes de mode vous empoisonneront & ruineront mon ouvrage. Ô saint vertu ! détourne tous ces maux ! Mes petits enfans obstinez-vous dans votre ignorance & votre simplicité ; c’est -à-dire, soyez toujours vertueux, car c’est la même chose. Soyez attentifs à mes paroles : que ceux qui ont des oreilles entendent. Les mondains vous ont dit : Nos institutions sont bonnes ; elles nous rendent heureux : & moi je vous dis que leurs institutions sont abominables & les rendent mal heureux. Le vrai bonheur de l’homme est de vivre seul, de manger des fruits sauvages, de dormir sur la terre nue ou dans le creux d’un arbre, & de ne jamais penser. Les mondains vous ont dit : Nous ne sommes pas des bêtes féroces, nous faisons du bien à nos semblables ; nous punissons les vices, & nous nous aimons les uns & les autres : & moi je vous dis que tous les Européens sont des bêtes féroces ou des fripons ; que toute l’Europe ne sera bientôt qu’un affreux désert ; que les mondains ne sont du bien que pour faire du mal ; qu’ils se haïssent tous & qu’ils récompensent