Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t14.djvu/586

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le vice. Ô sainte vertu ! Les mondains vous ont dit : Vous êtes des fous ; l’homme est fait pour vivre en société & non pour manger du gland dans les bois : & moi je vous dis que vous êtes les seuls sages, & qu’ils sont sous & méchans : l’homme n’est pas plus fait pour la société, qui est nécessairement l’école du crime, que pour aller voler sur les grands chemins. Ô mes petits enfans, restez dans les bois, c’est la place de l’homme : ô sainte vertu ! Emile, mon premier disciple, est selon mon cœur ; il me succédera. Je lui ai appris à lire, & à écrire, & à parler beaucoup ; c’en, est assez pour vous gouverner. Il vous lira quelquefois la Bible, l’excellente histoire de Robinson Crusoé & mes ouvrages ; il n’y a que cela de bon. La religion ce je vous ai donnée est sort simple : adorez un Dieu ; mais ne parlez pas de lui à vos enfans ; attendez qu’ils devinent d’eux-mêmes qu’il y en a un. Fuyez les médecins des ames comme ceux des corps ; ce sont des charlatans : quand l’ame est malade, il n’y a point de guérison à espérer, parce que j’ai dit clairement que le retour à la vertu est impossîble : cependant les Homélies éloquentes ne sont pas inutiles ; il est bon de désespérer les méchans & de les faire sécher de honte ou de douleur, en leur montrant la beauté de la vertu qu’ils ne peuvent plus aimer. J’ai cependant dit le contraire dans d’autres endroits ; mais cela n’est rien. Mes petits enfans, je vous répete encore ma grande leçon, bannissez d’entre vous la raison & la philosophie, comme elles sont bannies de mes livres. Soyez machinalement vertueux ; ne pensez jamais, ou que très-rarement ; rapprochez-vous sans