Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t15.djvu/125

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Il est vrai que ce fut un miracle ou Dieu inventa & apprit aux hommes vingt & trente langues tout d’un coup. M. R. a lu peut-être Horace, sur-tout à l’endroit où cet affranchi loue M. son pereavec assez de décence. M. R. ne veut point de Deus in machinâ qui dénoue une intrigue, digne pourtant de lui, dignus vindice nodus ; & il veut qu’un enfant qui vient de naître invente une langue pour expliquer ses besoins, qui sont grands, il est vrai. Mais l’enfant pleure & la mere l’entend assez. Car il ne faut qu’un mot pour tirer M. R. de son embarras, ne voulût-il pas même que Dieu y fit un miracle.

Mais je ne puis pas m’empêcher de dire, que M. R. calomnie la nature même, & Dieu à plus forte raison, lorsqu’il dit en termes clairs : “qu’on voit du moins au peu de soin qu’a pris la nature de rapprocher les hommes par des besoins mutuels, & de leur faciliter l’usage de la parole, combien elle a peu préparé la sociabilité, & combien elle a peu mis du sien dans tout ce qu’ils ont fait pour en établir les liens naturels.” Quoi ! Dieu qui met Adam dans un paradis de délices, qui le constitue maître des animaux & des fruits, qui dit que l’homme solitaire n’est pas bien, qui lui crée exprès une compagne, qui la tire de sa chair & de ses os, qui fonde la constitution de l’Eglise même sur leur sociabilité ! Quoi ! Adam qui reconnoît par sentiment, par pressentiment & en prophête sa destination naturelle & surnaturelle, qui dit relinquet, qui se sert du mot adhaerebit, &c. Quoi ! Dieu & l’homme ont pris peu de soin, &c.

M. R. va jusqu’à dire que dans cet état de nature “un homme n’a pas plus besoin d’un homme, qu’un linge ou un loup