Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t15.djvu/149

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sauvage des Hurons, ou des Iroquois, soit la jeunesse du monde & le beau de la nature humaine ; faux que notre vie civile, policée, politique, scientifique, artiste & religieuse, en soit la décrépitude. Si les Grecs, ou les Romains, les François mêmes, comme Grecs, Romains ou François, ont commencé par une sorte de vie sauvage, barbare & indisciplinée avant Cécrops, Romulus ou Clovis, c’étoit une vie errante, à laquelle leur transmigration d’Asie en Europe, d’après la dispersion de Babel les avoit réduits.

Les Hurons eux-mêmes, Algonquins, Tunguses, Cafres, Sibérites, Kamtschatltois, Samoïedes, Américains, Africains, Asiatiques ou Européens avoient commencé par être des peuples, des hommes sociables en Eve & Adam, & en Noé, Sem, Cham & Japhet avant & après le déluge, hommes trop sociables même, n’étant que trop, selon les propres termes des archives du genre-humain, unus populus & unum labium omnibus, n’ayant que trop une unanimité d’ouvrages, d’arts, de science, de volonté, de dessein, de cœur & d’esprit, de loix même & de religion.

Il en coûte à M. R. pour former une petite société de nation, de province, ou de ville, d’isle même, & d’un simple canton Grison, Suisse ou Genevois. Or, dans le vrai, la société a commencé par être celle de toutes les nations, & du genre humain tout entier, soit à Enochia, avant le déluge, soit à Babylone, après le déluge ; & il en a en quelque sorte coûté à Dieu, un miracle au moins, pour rompre cette société trop vaste & trop unanime en autant de sociétés qu’il y avoit de chefs de grandes nations.