Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t15.djvu/274

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Cet homme, qui éclairoit la raison humaine d’un flambeau si éclatant, formoit l’étrange vœu de vouloir éteindre celui des sciences dans tout l’univers, parce qu’il craignoit qu’il n’éclairât trop les vices & les passions des hommes. Par amour pour l’humanité, par passion pour la vertu, il se croyoit réduit à dégrader son espece, quand il considéroit les étranges contrariétés qui regnent en sa nature. Se livrant trop à ces dernieres idées, dont il paroît que Pascal fut aussi affecté autrefois, mais que bientôt sa raison supérieure rejetta, & qu’elle expliqua ensuite d’une maniere si parfaite, à l’aide des lumieres de la révélation, il ne régla pas ses opinions aussi sagement que ce dernier. Il s’abandonna en un mot à l’étrange souhait dont nous venons de parler, quand il réfléchit à tant de grandeur, mêlée de tant de foiblesse, à des lumieres si hautes, défigurées par des erreurs si déplorables ; vrais sujets en effet d’étonnement & de chagrin que Platon, Séneque, Montagne, & sur-tout Pascal, tous génies créateurs, évidemment précepteurs du sien, avoient apperçu avant lui, mais qu’aucun d’eux n’avoit, avec les seules lumieres de l’homme, présentés sous de plus vives images & avec la philosophie perfectionnée du dix-huitieme siecle, avec cette philosophie claire, exacte, qui seroit toujours utile si, présumant trop de ses forces, elle n’outre-passoit pas quelquefois témérairement ses bornes.

Il faut dire le vrai ; l’homme de la société tel qu’il est, ne plut jamais à Rousseau. Dans l’austérité des principes dont il avoit été imbu dès l’enfance, & que son caractere naturel n’avoit fait que fortifier, il censura avec chaleur ses usages, ses mœurs, son éducation ; il condamna jusqu’à ceux de ses plaisirs