Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t15.djvu/72

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de son innocence, & n’a pas besoin de chercher un faux & vain bonheur, dans l’opinion que les autres pourraient avoir de ses lumieres ; voilà l’ignorance, dit-on, qu’on a louée, &c.


procurer quelque avantage en attaquant celui de crainte tout seul : on m’a opposé les inquiétudes des Médecins & des Anatomistes sur santé ; mais premiérement, quand elles seraient aussi continuelles qu’on le prétend, en est-il moins vrai qu’ils se sont guéris par la science, d’un très-grand nombre de terreurs imaginaires ? il leur en seroit resté de fondées & d’utiles ; c’est l’état de l’homme apparemment ; il faut croire que l’Auteur de la Nature l’a voulu ainsi. En second lieu, quand même les craintes des Anatomistes seraient augmentées par la science, ils n’en deviendroient que plus utiles au genre-humain, par les connoissances que ces craintes mêmes les forceroient d’acquérir ; un petit mal deviendroit la source d’un grand bien, & y a-t-il des biens purs pour l’homme ? On ajoute que la génisse n’a pas besoin d’étudier la botanique pour trier son foin, & que le loup dévore sa proie sans songer à l’indigestion : tant mieux pour la génisse, si elle a la faculté de distinguer tout naturellement par le goût même, les alimens qui lui sont propres ; à l’égard des loups, nous avons trop peu de commerce avec eux pour savoir si leur intempérance ne nuit jamais à leur santé, & si elle doit nous être proposée pour modele. On demande si pour me défendre, je prendrai le parti de l’instinct contre la raison ? Je ne serois pas embarrassé à prendre un parti s’il le falloit nécessairement ; mais auparavant ne puis-je point demander à mon tour, si nous devons négliger de cultiver la raison que nous avons, pour nous abandonner à l’instinct que nous n’avons pas ?

J’ennuierois le lecteur si je voulois débrouiller toutes les chicanes que l’on m’oppose dans les pages suivantes ; je répondrai simplement que je n’ai jamais prétendu dire que Dieu nous eût fait philosophes, mais qu’il nous a fait tels, que la destruction des erreurs & la connoissance de la vérité sont uniquement le prix de l’application & du travail : les premiers philosophes se sont trompés ; leur exemple doit servit à nous corriger, non point en cessant de philosopher, comme on le prétend, puisque ce seroit nous replonger pour jamais dans les ténèbres de l’ignorance, mais en évitant avec soin les fausses routes qui les ont égarés ; & je ne crains point d’avancer, malgré l’air de plaisanterie que l’on prend, & qui n’est point une preuve, que nous