Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t16.djvu/18

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ma faute me la font aggraver & je n’écris plus du tout. J’ai donc gardé le silence & j’ai paru les oublier. Parisot & Perrichon n’y ont pas même foit attention & je les ai trouvés toujours les mêmes : mais on verra vingt ans après, dans M. Bordes, jusqu’où l’amour-propre d’un bel esprit peut porter la vengeance lorsqu’il se croit négligé.

Avant de quitter Lyon, je ne dois pas oublier une aimable personne que j’y revis avec plus de plaisir que jamais & qui laissa dans mon cœur des souvenirs bien tendres ; c’est Mlle. Serre, dont j’ai parlé dans ma premiere partie & avec laquelle j’avois renouvel connoissance tandis que j’étois chez M. de Mably.

À ce voyage, ayant plus de loisir, je la vis davantage ; mon cœur se prit & très vivement. J’eus quelque lieu de penser que le sien ne m’étoit pas contraire ; mais elle m’accorda une confiance qui m’ôta la tentation d’en abuser. Elle n’avoit rien, ni moi non plus ; nos situations étoient trop semblables pour que nous pussions nous unir ; & dans les vues qui m’occupoient, j’étois bien éloigné de songer au mariage. Elle m’apprit qu’un jeune négociant, appelé M. Genève, paroissoit vouloir s’attacher à elle. Je le vis chez elle une fois ou deux ; il me parut honnête homme, il passoit pour l’être. Persuadé qu’elle seroit heureuse avec lui, je désirai qu’il l’épousât, comme il a foit dans la suite ; & pour ne pas troubler leurs innocentes amours, je me hâtai de partir, faisant pour le bonheur de cette charmante personne des vœux qui n’ont été exaucés ici-bas que pour un temps, hélas ! bien court ; car j’appris dans la suite qu’elle étoit morte