Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t16.djvu/19

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au bout de deux ou trois ans de mariage. Occupé de mes tendres regrets durant toute ma route, je sentis & j’ai souvent senti depuis lors, en y repensant, que si les sacrifices qu’on foit au devoir & à la vertu coûtent à faire, on en est bien payé par les doux souvenirs qu’ils laissent au fond du cœur.

Autant à mon précédent voyage j’avois vu Paris par son côté défavorable, autant à celui-ci je le vis par son côté brillant ; non pas toutefois quant à mon logement ; car, sur une adresse que m’avoit donnée M. Bordes, j’allai loger à l’hôtel St. Quentin, rue des Cordiers proche la Sorbonne, vilaine rue, vilain hôtel, vilaine chambre, mais où cependant avoient logé des hommes de mérite, tels que Gresset, Bordes, les abbés de Mably, de Condillac & plusieurs autres dont malheureusement je n’y trouvai plus aucun ; mais j’y trouvai un M. de Bonnefond, hobereau boiteux, plaideur, faisant le puriste, auquel je dus la connoissance de M. Roguin, maintenant le doyen de mes amis & par lui celle du philosophe Diderot, dont j’aurai beaucoup à parler dans la suite.

J’arrivai à Paris dans l’automne de 1741, avec quinze louis d’argent comptant, ma comédie de Narcisse & mon projet de musique pour toute ressource & ayant par conséquent peu de tems à perdre pour tâcher d’en tirer parti. Je me pressai de faire valoir mes recommandations.

Un jeune homme qui arrive à Paris avec une figure passable & qui s’annonce par des talents, est toujours sûr d’être accueilli. Je le fus ; cela me procura des agrémens sans me