Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t16.djvu/184

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cet homme y feroit révolution ; que j’irois retrouver dans ma patrie le ton, les airs, les mœurs qui me chassoient de Paris ; qu’il me faudroit batailler sans cesse & que je n’aurois d’autre choix dans ma conduite que celui d’être un pédant insupportable ou un lâche & mauvais citoyen. La lettre que Voltaire m’écrivit sur mon dernier ouvrage me donna lieu d’insinuer mes craintes dans ma réponse ; l’effet qu’elle produisit les confirma. Dès-lors je tins Genève perdue & je ne me trompai pas. J’aurois dû peut-être aller faire tête à l’orage, si je m’en étois senti le talent. Mais qu’eussai-je fait seul, timide & parlant très mal, contre un homme arrogant, opulent, étayé du crédit des grands, d’une brillante faconde, *

[*Vieux mot qui signifie éloquence. Note de l’Editeur.] & déjà l’idole des femmes & des jeunes gens ? Je craignis d’exposer inutilement au péril mon courage : je n’écoutai que mon naturel paisible, que mon amour du repos, qui, s’il me trompa, me trompe encore aujourd’hui sur le même article. En me retirant à Genève, j’aurois pu m’épargner de grands malheurs à moi-même ; mais je doute qu’avec tout mon zèle ardent & patriotique j’eusse fait rien de grand & d’utile pour mon pays.

T

[ronchin] qui, dans le même tems à peu près, fut s’établir à Genève, vint quelque tems après à Paris faire le saltimbanque & en emporta des trésors. À son arrivée, il me vint voir avec le chevalier de Jaucourt. Mde. D’

[Epina] y souhaitoit fort de le consulter en particulier, mais la presse n’étoit pas facile à percer. Elle eut recours à moi. J’engageai T

[ronchin] à l’aller voir. Ils commencèrent ainsi, sous mes auspices, des liaisons qu’ils resserrèrent