Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t16.djvu/404

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à panser la partie souffrante avec du baume tranquille. Malheureusement la douleur se calma, & quand elle revint, on ne manqua pas d’employer le même remède qui l’avoit calmée : la constitution s’altéra, les maux augmentèrent, & les remèdes en même raison. Mde. de Luxembourg, qui vit bien enfin que c’étoit la goutte, s’opposa à cet insensé traitement. On se cacha d’elle, & M. de Luxembourg périt par sa faute au bout de quelques années, pour avoir voulu s’obstiner à guérir. Mais n’anticipons point de si loin sur les malheurs : combien j’en ai d’autres à narrer avant celui-là !

Il est singulier avec quelle fatalité tout ce que je pouvois dire & faire, sembloit fait pour déplaire à Mde. de Luxembourg, lors même que j’avois le plus à cœur de conserver sa bienveillance. Les afflictions que M. de Luxembourg éprouvoit coup sur coup ne faisoient que m’attacher à lui davantage, & par conséquent à Mde. de Luxembourg : car ils m’ont toujours paru si sincèrement unis, que les sentimens que l’on avoit pour l’un s’étendoient nécessairement à l’autre. Monsieur le maréchal vieillissoit. Son assiduité à la Cour, les soins qu’elle entraînoit, les chasses continuelles, la fatigue sur-tout du service durant son quartier, auroient demandé la vigueur d’un jeune homme, & je ne voyois plus rien qui pût soutenir la sienne dans cette carrière. Puisque ses dignités devoient être dispersées & son nom éteint après lui, peu lui importoit de continuer une vie laborieuse, dont l’objet principal avoit été de ménager la faveur du prince à ses enfans. Un jour que nous n’étions que nous trois, &