Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t16.djvu/407

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Mon talent étoit de dire aux hommes des vérités utiles, mais dures, avec assez d’énergie & de courage ; il falloit m’y tenir. Je n’étois point né, je ne dis pas pour flatter, mais pour louer. La maladresse des louanges que j’ai voulu donner, m’a fait plus de mal que l’âpreté de mes censures. J’en ai à citer ici un exemple si terrible, que ses suites ont non-seulement fait ma destinée pour le reste de ma vie, mais décideront peut-être de ma réputation dans toute la postérité.

Durant les voyages de Montmorency, M. de Choiseul venoit quelquefois souper au château. Il y vint un jour que j’en sortois. On parla de moi, M. de Luxembourg lui conta mon histoire de Venise avec M. de M........ M. de Choiseul dit que c’étoit dommage que j’eusse abandonné cette carrière, & que si j’y voulois rentrer, il ne demandoit pas mieux que de m’occuper. M. de Luxembourg me redit cela ; j’y fus d’autant plus sensible que je n’étois pas accoutumé d’être gâté par les ministres, & il n’est pas sûr que, malgré mes résolutions, si ma santé m’eût permis d’y songer, j’eusse évité d’en faire de nouveau la folie. L’ambition n’eut jamais chez moi que les courts intervalles où toute autre passion me laissoit libre ; mais un de ces intervalles eût suffi pour me rengager. Cette bonne intention de M. de Choiseul, m’affectionnant à lui, accrut l’estime que, sur quelques opérations de son ministère, j’avois conçue pour ses talents, & le pacte de famille en particulier me parut annoncer un homme d’état du premier ordre. Il gagnoit encore dans mon esprit au peu de cas que je faisois de ses prédécesseurs, sans