Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t16.djvu/412

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que je suis bête, sans aucune présence d’esprit, & que la colère, au lieu d’aiguiser le peu que j’en ai, me l’ôte. J’avois un chien qu’on m’avoit donné tout jeune, presque à mon arrivée à l’Hermitage, & que j’avois appelé duc. Ce chien, non beau, mais rare en son espèce, duquel j’avois fait mon compagnon, mon ami, & qui certainement méritoit mieux ce titre que la plupart de ceux qui l’ont pris, étoit devenu célèbre au château de Montmorency par son naturel aimant, sensible, & par l’attachement que nous avions l’un pour l’autre. Mais, par une pusillanimité fort sotte, j’avois changé son nom en celui de turc, comme s’il n’y avoit pas des multitudes de chiens qui s’appellent marquis, sans qu’aucun marquis s’en fâche. Le marquis de V

[illeroy] , qui sut ce changement de nom, me poussa tellement là dessus, que je fus obligé de conter en pleine table ce que j’avois fait. Ce qu’il y avoit d’offensant pour le nom de duc, dans cette histoire, n’étoit pas tant de le lui avoir donné, que de le lui avoir ôté. Le pis fut qu’il y avoit là plusieurs ducs : M. de Luxembourg l’étoit, son fils l’étoit. Le marquis de V

[illeroy] , fait pour le devenir, & qui l’est aujourd’hui, jouit avec une cruelle joie de l’embarras où il m’avoit mis, & de l’effet qu’avoit produit cet embarras. On m’assura le lendemain que sa tante l’avoit très vivement tancé là-dessus ; & l’on peut juger si cette réprimande, en la supposant réelle, a dû beaucoup raccommoder mes affaires auprès de lui.

Je n’avois pour appui contre tout cela, tant à l’hôtel de Luxembourg qu’au Temple, que le seul chevalier de L

[orenz] i, qui fit profession d’être mon ami : mais il l’étoit encore plus