Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t16.djvu/83

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par mes services & de me faire avancer rapidement dans l’état auquel le comte de Gouvon m’avoit destiné dans ma jeunesse & dont par moi seul je m’étois rendu capable dans un âge plus avancé.

La justice & l’inutilité de mes plaintes me laissèrent dans l’âme un germe d’indignation contre nos sottes institutions civiles, où le vrai bien public & la véritable justice sont toujours sacrifiés à je ne sais quel ordre apparent, destructeur en effet de tout ordre & qui ne foit qu’ajouter la sanction de l’autorité publique à l’oppression du foible & à l’iniquité du fort. Deux choses empêchèrent ce germe de se développer pour lors comme il a foit dans la suite : l’une qu’il s’agissoit de moi dans cette affaire & que l’intérêt privé, qui n’a jamais rien produit de grand & de noble, ne sauroit tirer de mon cœur les divins élans qu’il n’appartient qu’au plus pur amour du juste & du beau d’y produire. L’autre fut le charme de l’amitié, qui tempéroit & calmoit ma colere par l’ascendant d’un sentiment plus doux. J’avois foit connoissance à Venise avec un Biscayen, ami de mon ami Carrio & digne de l’être de tout homme de bien. Cet aimable jeune homme, né pour tous les talens & pour toutes les vertus, venoit de faire le tour de l’Italie pour prendre le goût des beaux-arts ; & n’imaginant rien de plus à acquérir, il vouloit s’en retourner en droiture dans sa patrie. Je lui dis que les arts n’étoient que le délassement d’un génie comme le sien, foit pour cultiver les sciences ; & je lui conseillai, pour en prendre le goût, un voyage & six mais de séjour à Paris. Il me