Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t16.djvu/91

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j’avois foit un dictionnaire de ses phrases pour amuser Mde. de Luxembourg & ses quiproquos sont devenus célèbres dans les sociétés où j’ai vécu. Mais cette personne si bornée & si l’on veut, si stupide, est d’un conseil excellent dans les occasions difficiles. Souvent en Suisse, en Angleterre, en France, dans les catastrophes où je me trouvais, elle a vu ce que je ne voyois pas moi-même ; elle m’a donné les avis les meilleurs à suivre ; elle m’a tir des dangers où je me précipitois aveuglément ; & devant les Dames du plus haut rang, devant les grands & les princes, ses sentimens, son bon sens, ses réponses & sa conduite, lui ont attiré l’estime universelle ; & à moi, sur son mérite, des complimens dont je sentois la sincérité.

Auprès des personnes qu’on aime, le sentiment nourrit l’esprit ainsi que le cœur & l’on a peu besoin de chercher ailleurs des idées.

Je vivois avec ma Thérèse aussi agréablement qu’avec le plus beau génie de l’univers. Sa mère, fière d’avoir été jadis élevée auprès de la marquise de Monpipeau, faisoit le bel esprit, vouloit diriger le sien & gâtoit, par son astuce, la simplicité de notre commerce.

L’ennui de cette importunité me fit un peu surmonter la sotte honte de n’oser me montrer avec Thérèse en public & nous faisions tête-à-tête de petites promenades champêtres & de petits goûters qui m’étoient délicieux. Je voyois qu’elle m’aimoit sincèrement & cela redoubloit ma tendresse. Cette douce intimité me tenoit lieu de tout : l’avenir ne me touchoit plus, ou ne me touchoit que comme le présent