Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t17.djvu/139

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

rendoient alors pour moi cette émigration impraticable, sur-tout avec la précipitation qu’on me prescrivoit. Il est vrai que l’extravagance d’un pareil ordre le rendoit impossible à exécuter : car du milieu de cette solitude enfermée, au milieu des eaux, n’ayant que vingt-quatre heures depuis l’intimation de l’ordre pour me préparer au départ, pour trouver bateaux & voitures pour sortir de l’isle & de tout le territoire ; quand j’aurois eu des ailes, j’aurois eu peine à pouvoir obéir. Je l’écrivis à M. le bailli de Nidau, en répondant à sa lettre, & je m’empressai de sortir de ce pays d’iniquité. Voilà comment il fallut renoncer à mon projet chéri, & comment n’ayant pu dans mon découragement obtenir qu’on disposât de moi, je me déterminai, sur l’invitation de milord Maréchal, au voyage de Berlin, laissant Thérèse hiverner à l’isle de St. Pierre, avec mes effets & mes livres, & déposant mes papiers dans les mains de Du Peyrou. Je fis une telle diligence, que dès le lendemain matin, je partis de l’isle & me rendis à Bienne encore avant midi. Peu s’en fallut que je n’y terminasse mon voyage par un incident dont le récit ne doit pas être omis.

Sitôt que le bruit s’étoit répandu que j’avois ordre de quitter mon asyle, j’eus une affluence de visites du voisinage, & sur-tout de B

[ernoi] s qui venoient avec la plus détestable fausseté me flagorner, m’adoucir & me protester qu’on avoit pris le moment des vacances & de l’infréquence du Sénat pour minuter & m’intimer cet ordre, contre lequel, disoient-ils, tous les Deux-cent étoient indignés. Parmi ce tas de consolateurs, il en vint quelques-uns de la ville de