aisée à exécuter. À la manière dont M. Dastier m’avoit parlé de la Corse, je n’y devois trouver des plus simples commodités de la vie, que celles que j’y porterois, linge, habits, vaisselle, batterie de cuisine, papiers, livres, il falloit tout porter avec soi. Pour m’y transporter avec ma gouvernante, il falloit franchir les Alpes, & dans un trajet de deux cens lieues traîner à ma suite tout un bagage ; il falloit passer à travers les états de plusieurs souverains ; & sur le ton donné par toute l’Europe, je devois naturellement m’attendre, après mes malheurs, à trouver partout des obstacles, & à voir chacun se faire un honneur de m’accabler de quelque nouvelle disgrâce, & violer avec moi tous les droits des gens, & de l’humanité. Les frais immenses, les fatigues, les risques d’un pareil voyage, m’obligeoient d’en prévoir d’avance, & d’en bien peser toutes les difficultés. L’idée de me trouver enfin seul, sans ressource à mon âge, & loin de toutes mes connaissances, à la merci de ce peuple barbare, & féroce, tel que me le peignoit M. Dastier, étoit bien propre à me faire rêver sur une pareille résolution avant de l’exécuter. Je désirois passionnément l’entrevue que Buttafuoco m’avoit fait espérer, & j’en attendois l’effet pour prendre tout à fait mon parti.
Tandis que je balançois ainsi, vinrent les persécutions de Motiers, qui me forcèrent à la retraite. Je n’étois pas prêt pour un long voyage, & sur-tout pour celui de Corse. J’attendois des nouvelles de Buttafuoco ; je me réfugiai dans l’isle de St. Pierre, d’où je fus chassé à l’entrée de l’hiver, comme j’ai dit ci-devant. Les Alpes couvertes de neige