LETTRE À Mr. M.
......Le 14 Octobre 1764.
J’ai reçu, Monsieur, au retour d’une tournée que j’ai faite dans nos montagnes, votre lettre du 4 Août, & l’ouvrage que vous y avez joint. J’y ai trouvé des sentimens, de l’honnêteté, du goût ; & il m’a rappelé avec plaisir notre ancienne connoissance. Je ne voudrois pourtant pas qu’avec le talent que vous paroissez avoir, vous en bornassiez l’emploi à de pareilles bagatelles.
Ne songez pas, Monsieur, à venir ici avec une femme douze cent livres de rente viagère pour toute fortune. La liberté met ici tout le monde à son aile. Le commerce qu’on ne gêne point, y fleurit ; on y a beaucoup d’argent & peu de denrées ; ce n’est pas le moyen d’y vivre à bon marché. Je vous conseille aussi de bien songer, avant de vous marier, à ce que vous allez faire. Une rente viagère n’est pas une grande ressource pour une famille. Je remarque, d’ailleurs, que tous les jeunes gens à marier trouvent des Sophies ; mais je n’entends plus parler de Sophies aussitôt qu’ils sont mariés.
Je vous salue, Monsieur, de tout mon cœur.