Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t17.djvu/45

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M…n, fort aise d’être dispensé de m’arrêter, je continuai ma route sans que personne me dit mot.

En entrant sur le territoire de Berne je fis arrêter ; je descendis, je me prosternai, j’embrassai, je baisai la terre, & m’écriai dans mon transport : Ciel, protecteur de la vertu, je te loue ! je touche une terre de liberté ! C’est ainsi, qu’aveugle & confiant dans mes espérances, je me suis toujours passionné pour ce qui devoit faire mon malheur. Mon postillon surpris me crut fou ; je remontai dans ma chaise, & peu d’heures après, j’eus la joie aussi pure que vive, de me sentir pressé dans les bras du respectable Roguin. Ah, respirons quelques instans chez ce digne hôte ! J’ai besoin d’y reprendre du courage & des forces ; je trouverai bientôt à les employer. Ce n’est pas sans raison que je me suis étendu dans le récit que je viens de faire sur toutes les circonstances que j’ai pu me rappeler. Quoiqu’elles ne paroissent pas fort lumineuses, quand on tient une fois le fil de la trame, elles peuvent jeter du jour sur sa marche, & par exemple, sans donner la première idée du problême que je vais proposer, elles aident beaucoup à le résoudre.

Supposons que pour l’exécution du complot dont j’étois l’objet, mon éloignement fut absolument nécessaire, tout devoit, pour l’opérer, se passer à-peu-près comme il se passa ; mais si, sans me laisser épouvanter par l’ambassade nocturne de Mde. de Luxembourg & troubler par ses allarmes, j’avois continué de tenir ferme comme j’avois commencé, & qu’au lieu de rester au château, je m’en fusse retourné dans mon lit, dormir tranquillement la fraîche matinée, aurois-