LES
CONFESSIONS
DE
J. J. ROUSSEAU.
Ici commence l’œuvre de ténèbres dans lequel, depuis huit
ans, je me trouve enseveli, sans que de quelque façon que
je m’y sois pu prendre, il m’ait été possible d’en percer
l’effrayante obscurité. Dans l’abîme de maux où je suis
submergé, je sens les atteintes des coups qui me sont portés,
j’en apperçois l’instrument immédiat, mais je ne puis voir
ni la main qui le dirige, ni les moyens qu’elle met en œuvre.
L’opprobre & les malheurs tombent sur moi comme d’eux-mêmes
& sans qu’il y paroisse. Quand mon cœur déchiré
laisse échapper des gémissemens, j’ai l’air d’un homme qui
se plaint sans sujet, & les auteurs de ma ruine ont trouvé
l’art inconcevable de rendre le public complice de leur complot,
sans qu’il s’en doute lui-même, & sans qu’il en apperçoive
l’effet. En narrant donc les événemens qui me regardent,
les traitemens que j’ai soufferts, & tout ce qui m’est
arrivé, je suis hors d’état de remonter à la main motrice,