Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t2.djvu/114

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Sans doute, il est des dons vils qu’un honnête homme ne peut accepter ; mais apprenez qu’ils ne déshonorent pas moins la main qui les offre, & qu’un don honnête à faire est toujours honnête à recevoir ; or, surement mon cœur ne me reproche pas celui-ci, il s’en glorifie [1]. Je ne sache rien de plus méprisable qu’un homme dont on achete le cœur & les soins, si ce n’est la femme qui les paye ; mais entre deux cœurs unis la communauté des biens est une justice & un devoir, & si je me trouve encore en arriere de ce qui me reste de plus qu’à vous, j’accepte sans scrupule ce que je réserve, & je vous dois ce que je ne vous ai pas donné. Ah ! si les dons de l’amour sont à charge, quel cœur jamais peut être reconnoissant ?

Supposeriez-vous que je refuse à mes besoins ce que je destine à pourvoir aux vôtres ? Je vais vous donner du contraire une preuve sans réplique. C’est que la bourse que je vous renvoye contient le double de ce qu’elle contenoit la premiere fois, & qu’il ne tiendroit qu’àmai de la doubler encore. Mon pere me donne pour mon entretien une pension, modique à la vérité, mais à laquelle je n’ai jamais besoin de toucher, tant ma mere est attentive à pourvoir à tout, sans compter que ma broderie & ma dentelle suffisent pour m’entretenir de l’une & de l’autre. Il est vrai que je n’étois pas toujours aussi riche ; les soucis d’une passion fatale m’ont fait depuis long-tems négliger certains soins

  1. Elle a raison. Sur le motif secret de ce voyage, on voit que jamais argent ne fut plus honnêtement employé. C’est grand dommage que cet emploi n’ai pas fait un meilleur profit.