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LETTRE XL. DE FANCHON REGARD À JULIE.

Mademoiselle,

Pardonnez une pauvre fille au désespoir, qui ne sachant plus que devenir ose encore avoir recours à vos bontés. Car vous ne vous lassez point de consoler les affligés, & je suis si malheureuse qu’il n’y a que vous & le bon Dieu que mes plaintes n’importunent pas. J’ai eu bien du chagrin de quitter l’apprentissage où vous m’aviez mise ; mais ayant eu le malheur de perdre ma mere cet hiver, il a falu revenir auprès de mon pauvre pere que sa paralysie retient toujours dans son lit.

Je n’ai pas oublié le conseil que vous aviez donné à ma mere de tâcher de m’établir avec un honnête homme qui prît soin de la famille. Claude Anet, que Monsieur votre pere avoit ramené du service est un brave garçon, rangé, qui sait un bon métier, & qui me veut du bien. Après tant de charité que vous avez eue pour nous, je n’osois plus vous être incommode, & c’est lui qui nous a fait vivre pendant tout l’hiver. Il devoit m’épouser ce printems ; il avoit mis son cœur à ce mariage. Mais on m’a tellement tourmentée pour payer trois ans de loyer échu à Pâques que ne sachant où prendretant d’argent comptant, le pauvre jeune homme s’est engagé derechef sans m’en rien dire