Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t2.djvu/263

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vous parlez de mon ami, songez que je prends pour moi tous les outrages qui lui sont faits en ma présence, & que les noms injurieux à un homme d’honneur le sont encore plus à celui qui les prononce. De tels quidams sont plus respectables que tous les Houbereaux de l’Europe, & je vous défie de trouver aucun moyen plus honorable d’aller à la fortune que les hommages de l’estime & les dons de l’amitié. Si le gendre que je vous propose ne compte point, comme vous, une longue suite d’ayeux toujours incertains, il sera le fondement & l’honneur de sa maison comme votre premier ancêtre le fut de la vôtre. Vous seriez-vous donc tenu pour déshonoré par l’alliance du chef de votre famille, & ce mépris ne rejailliroit-il pas sur vous-même ? Combien de grands noms retomberoient dans l’oubli si l’on ne tenoit compte que de ceux qui ont commencé par un homme estimable ! Jugeons du passé par le présent ; sur deux ou trois citoyens qui s’illustrent par des moyens honnêtes, mille coquins annoblissent tous les jours leur famille ; & que prouvera cette noblesse dont leurs descendans seront si fiers, sinon les vols & l’infamie de leur ancêtre [1]. On voit, je l’avoue, beaucoup de malhonnêtes gens parmi les roturiers ; mais il y a toujours vingt à parier contre un, qu’un gentilhomme descend d’un fripon. Laissons, si vous voulez l’origine à part, & pesons le mérite & les services. Vous avez porté

  1. Les lettres de noblesse sont rares en ce siecle, & même elles y ont été illustrées au moins une fois. Mais quant à la noblesse qui s’acquiert à prix d’argent & qu’on achete avec des charges, tout ce que j’y vois de plus honorable est le privilégie de n’être pas pendu.